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au soir de la pensée

nier mot reste, sans fléchissement possible, au potentiel de l’infini.

Et c’est tout ? Au moins, est-ce l’événement cosmique auquel rien ne peut résister, la loi de toutes les existences à laquelle, geignants ou glorieux, il faut nous adapter. Ni geindre, ni exulter. Comprendre, et, pour s’achever au plus haut de soi-même, se rendre digne de son sort en s’efforçant jusqu’au bout dans la voie des déterminations d’entr’aide et de solidarité ! Je ne dirai pas qu’il en résultera un satisfecit de l’homme à l’univers, car il faudrait accommoder les choses aux fantaisies changeantes de tout individu. Mais qu’en serait-il de la gratitude ou des reproches de l’individuation de sensibilité humaine envers l’inconsciente infinité à qui l’absence de limites ne permet pas une synthèse d’individualité ? Notre tour de naissance nous a projetés dans la vie. Quelle autre ressource que de nous y accommoder ?

Être entré dans la conscience des choses pour des sensations de souffrances et de félicités dont la juste compensation ne peut être établie, mais qui, apparemment, laissent une conclusion favorable, puisque vivre et vivre encore est le vœu de chacun ! voilà notre sort. N’est-ce pas folie que nous débattions pour savoir si nous ferons l’honneur au destin de nous en contenter ?

La réalité est qu’avec ses effets de plaisir ou de peine, la sensibilité, maîtresse des mouvements de notre vie, nous retient organiquement d’une attache si forte que nous ne pouvons nous faire à l’idée de nous en départir. Le repos, parfois vainement appelé de nos nuits, n’inspire qu’épouvante aux esprits faibles hors des promesses d’un réveil. Pour l’acceptation des incertitudes primitives de la mort qui nous sépare de tout ce que nous aimons, l’anticipation même d’un souverain relâche ne nous préserve pas d’une douleur d’en finir avec les ressacs de la vie. Issus de l’inconscience des choses, nous ne nous accommodons pas d’y rentrer. Et cependant l’homme, délivré des chaînes de ses Dieux, ne peut compter que sur lui-même pour l’accomplissement de sa destinée. C’est la virilité de l’effort qui fera le plus vif de nous-mêmes, avec le secours de l’« illusion féconde », comme disait Kant, trop souvent nécessaire aux nobles aventuriers de la pensée.

Le monde est une épreuve de forces. Pour vaincre, tout un jour, il faut biaiser. Lutte à mort, ou soumission à merci. Tel est le cadre où se développera l’homme, avec l’aide des accou-