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les âges primitifs

sans raison connue, faire « du nouveau » — ce qui est contradictoire à sa propre fixité — pourquoi ne pas se donner le plaisir d’une création parfaite du premier coup, au lieu de faire, « à son image », l’homme si peu stable qu’il débutera par la forme de la Chapelle-aux-Saints, à mi-distance de l’anthropoïde et de l’exemplaire civilisé de nos jours? Quel motif de faire d’abord l’homme sauvage, ignorant, dépourvu de tous moyens de défense contre l’hostilité des éléments, et de lui imposer de formidables travaux pour livrer le monde aux incertitudes, aux misères, aux désastres de tous les temps? Que M. l’abbé Mainage accepte ou non « l’évolution », il ne peut nier que l’homme ait changé depuis le quaternaire. Où la loi de ce changement? Qu’il nous dise pourquoi son Dieu a voulu et réalisé l’étroite filiation de tant d’efforts défaillants.

Pour que l’homme ait « changé » du quaternaire aux temps présents, il lui a fallu, comme à tous autres phénomènes, des successions de « changements ». La Révélation ne nous en a rien dit, et pour cause. Des temps indéfinis de pensées vacillantes nous ont montré des développements d’énergies en des formes dites d’ « évolution ». Quelle autre loi d’enchaînements successifs nous propose la « Révélation »? Jusqu’à ce qu’elle se soit montrée capable d’un tel effort, les deux termes demeurent hors d’accommodements. Cependant, la connaissance grandissante fait irréductiblement son chemin, et le dogme se tait quand on lui demande ses témoignages d’observation. C’est l’aveu.

Prendre acte contre nous de ce que nous ne tenons pas tous les échelons du Cosmos est d’une puérilité trop aisément concevable d’hommes qui, par une confusion trop naïve du dire et du connaître, croient posséder l’ultime secret des choses par la seule raison qu’ils se l’attribuent. Nous ne savons pas tout des phénomènes, il n’est que trop véritable, et le meilleur de notre connaissance ne nous découvre que des mouvements de rapports. Nous n’en saisissons, en partie, que d’infimes passages. L’observation, cependant, nous fournit des points de repère que, par l’expérience, par le calcul, par l’induction, nous essayons de coordonner selon leurs naturelles directions. Nous errons, et nous rectifions plus ou moins heureusement nos erreurs. Qui donc est infaillible, sauf celui qui se proclame tel pour se trouver cruellement démenti a la première épreuve des faits?