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au soir de la pensée

Hommes nous nous trouvons, hommes nous resterons tout pétris d’insuffisances, et de suffisances en des activités de connaître imparfaites, sans doute, mais néanmoins positivement fondées.

Prends ton pic et me romps ce caillou qui te nuit.

Au travail, crie le poète au charretier embourbé. Voilà la bonne leçon.

Obsédés du merveilleux don de ce connaître qui nous enchante et nous effraie tour à tour, notre premier mouvement fut d’en chercher la source dans les profondeurs de l’insaisissable au lieu d’en demander laborieusement l’histoire aux développements des phénomènes que nous avons sous les yeux. Malgré tout, il s’est trouvé des consciences avides de lumières, soutenues d’un ferme courage, pour accepter la gageure de l’absolu contre nos relativités — chancelantes, mais redressées par l’observation.

La science la plus ancienne est du mouvement des astres. Aux âges lointains, déjà, les Chaldéens en ont pu déterminer des parties, et, de nos jours, l’hypothèse de Laplace a été poussée assez loin pour nous apporter des conclusions d’expérience fort éloignées des cosmogonies religieuses de l’Orient dont la tradition est encore vénérée dans nos salons et dans nos temples au mépris d’une expérience rudimentaire. Toutes nos observations du monde solaire nous ont conduits à un ensemble de connaissances positives dont l’histoire de notre planète s’est progressivement enrichie. Nous pouvons reconstituer les grandes transformations de son passé dont les mouvements actuels sont l’inéluctable conséquence. Depuis les indescriptibles explosions de la masse brûlante jusqu’aux apaisements, jusqu’aux enchantements d’aujourd’hui, nous suivons pas à pas les successions des phases du refroidissement terrestre, nous en déterminons les résultats et nous en prévoyons les conséquences. Lorsqu’au complexe inorganique de cristallisation a succédé le complexe organique de la cellule et de son plasma, faut-il vraiment s’étonner que là, comme partout ailleurs, des « passages » échappent à notre observation? N’est-ce pas l’universelle loi des relativités de notre « compréhension » ? Et sommes-nous donc condamnés, parce que nous ne saisissons pas tout, à nous boucher les yeux pour nous garder de rien comprendre ? Puisque le fer et le feu n’ont pu venir