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les âges primitifs

Je voudrais pouvoir aborder dans son ampleur les problèmes du passage de l’anthropoïde à l’homme déterminé, qui ne passionne pas moins le grand public que les savants. Je ne puis qu’indiquer ici quelques grandes lignes. Quand les questions sont posées, dans les esprits mal préparés du plus grand nombre, il y a de grandes chances pour que les interprétations en soient trop aisément défigurées.

On s’est, d’abord, imaginé qu’il s’agissait uniquement de trouver le « missing link » (chaînon manquant) de l’anthropoïde à l’humain, pour que les incertitudes subsistantes fussent instantanément abolies. Un brave squelette serait sorti tout à coup de sa tombe pour nous dire : «Je vous attendais, me voici. » On le féliciterait à la ronde. On le soumettrait à l’épreuve de toutes nos mesures, on ferait jouer ses articulations et puis on l’encagerait dans une belle vitrine avec défense de toucher. Et les badauds ne manqueraient pas d’accourir pour dire : « J’ai vu », sans savoir quoi.

Les choses ne peuvent se passer aussi simplement. J’ai dit qu’il ne fallait pas chercher l’hérédité des évolutions dans la ligne continue d’un seul développement généalogique. Aux innombrables espèces, dont nous tenons les vestiges, s’ajoutent des espèces, plus nombreuses encore, qui se sont évanouies sans nous laisser de documents directs. Elles ont pullulé, elles se sont mêlées, croisées sans nous léguer d’autres témoins de leur passage que des états différenciés de lignage à interpréter pour retrouver la droite descendance. Des pièces fossiles se rangent ainsi sur les tables de nos musées, dont nous reconstituons plus ou moins justement l’ensemble selon les règles de Cuvier, et nous avons tantôt fait de gratifier le nouvel individu d’un nom approprié. Il ne s’agit plus que de le comparer aux squelettes les plus anciens du quaternaire et d’en tirer les conclusions qu’il appartiendra.

L’interprétation biologique des ossements fossiles nous offre un aspect fort différent. Nous n’avons pas, et nous ne pouvons pas


    l’art pariétal des cavernes ne remonte pas au delà de l’âge du renne, c’est-à-dire de la fin de la période glaciaire dans nos pays. Mais avant l’art raffiné des grottes de la Dordogne et des Pyrénées, il y eut de vagues ébauches, comme l’attestent un très grand nombre de hâtives images inscrites aux parois d’objets divers, armes et outils, et même sur des rochers.