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au soir de la pensée

phallique qui fut l’un des premiers en tous pays, et subsiste encore dans l’Inde avec tant d’éclat.

Toutes les contrées de la terre montrent des mégalithes en une telle abondance qu’aucun catalogue n’en a pu être dressé. On ne saurait encore les rattacher à un classement positif de périodes caractérisées. Avec ces monuments, nous passons des activités purement animales à des manifestations d’humanité, comme le culte des morts exprimé par des rites à l’adresse du fétiche, dont certains monolithes eux-mêmes furent peut-être une représentation. Déjà la prédominance du Moi s’imposait-elle apparemment avec tant d’autorité que le geste élémentaire de notre intellectualité fut d’abord, comme aujourd’hui même, de vouloir prolonger l’être au delà de la mort. De là l’intervention des vivants dans la mise en action des puissances supposées d’au-delà, et les rites funéraires qui devaient les manifester. Rien encore d’une apparition de magies rudimentaires conduisant à un culte organisé. Comment reconnaître, au cours des premiers âges, des indices de cérémonies ignorées ? C’est déjà beaucoup de tenir le témoin authentique d’une intention formelle, signe incontesté du premier saut de l’homme dans l’abîme des destinées.

La succession nous échappe des états de psychologie qui amenèrent le fils de l’anthropoïde aux pentes de ce monde nouveau. Ses primitives conceptions, nécessairement puériles, sont, en ce point, d’un intérêt secondaire. Le fait capital est qu’il se soit posé une question de lui-même et du monde, en quelque forme qu’il l’ait provisoirement résolue. Là se rencontre, en effet, le premier signe d’une naissante intelligence aux premiers accès d’un horizon illimité.

Non que la création des Dieux soit seulement l’effet d’un phénomène de pur raisonnement. Phénomène émotif d’abord, comme l’a reconnu l’adage sur « la peur » fabricatrice de Divinités. La réaction émotive qui nous vient du monde pose d’abord la question en des formes propres à nous troubler, et, par là, trop éloignées des premiers linéaments d’une solution positive. Il y a des mouvements de choses d’où bien et mal nous sont issus : voilà le premier exposé de l’aventure. La première réponse de l’organisme, avant tout enchaînement d’un ordre de pensées, est de se mettre tout d’abord en défense contre le mal prêt à fondre de tous côtés.