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au soir de la pensée

d’équilibre général qui se dégageront des oppositions d’abus. Rythmes de despotisme et d’anarchie se ressemblent par plus d’un côté. Si nous trouvons quelque jour une moyenne, nous ne pourrons manquer de nous en réjouir. Les « élites gouvernantes » ne nous ont pas toujours donné de très bons modèles. Je n’admire pas plus la Convention que « la Chambre introuvable », et je me défie même du gouvernement des « penseurs » depuis qu’Auguste Comte, s’instituant dictateur intellectuel, a commencé par interdire dogmatiquement les études expérimentales d’où les plus belles découvertes de la science moderne allaient sortir. Les religions, en quête d’unité, ne nous ont donné que des luttes d’hérésies. Enfin, la « démocratie », longtemps suprême espoir des peuples en mal de gouvernement, a déjà suscité, par son incoercible parlage et le trop manifeste amoindrissement des caractères, les réactions violentes des Soviets et du Fascisme, sans parler de ce qui peut être en voie de préparation.

De déceptions en déceptions, les Athéniens en étaient venus à résoudre le problème en confiant au hasard le soin de les gouverner. Ils élisaient les magistrats au sort, et ne s’en trouvèrent ni mieux ni plus mal que devant. Aujourd’hui je me demande si le progrès de la mentalité générale peut nous permettre d’espérer de nos moyennes majoritaires, en certains jours, des résultats meilleurs. Ne mesurons pas notre patience à la vivacité de nos aspirations.

La vérité est que, sous des noms divers, nous n’avons jamais été gouvernés que par des oligarchies d’intérêts décorés d’idéologie. Des forces et des faiblesses des oligarchies de démocratie, il y aurait beaucoup à dire. En deux mille ans, depuis Athènes, je ne vois pas qu’elles aient beaucoup changé. C’est un encouragement de penser que, selon des chances, la civilisation pourra trouver des chemins où nous accrocherons des étiquettes d’espérances aux pierres milliaires de l’éternité.

Quoi qu’il arrive, les conflits de majorités et de minorités demeureront la moelle de l’histoire humaine. « Toujours le moins est en guerre avec le plus, c’est la source des haines éternelles ». Ainsi parle Euripide, par l’organe de Créon, pour tous les temps qui furent et qui seront. Ce sera déjà beau que la « vie civilisée » adoucisse les formes de ces oppositions par une suite d’accommodations quotidiennes à l’inflexible destinée. Sachons bien seulement