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La civilisation

risme aux retours des tyrannies du passé. La régression ne peut être un remède aux faux pas de régimes qui ne se réclament même pas d’une idée.

Il est vrai, les moyens historiques par lesquels nous avons essayé de parer à nos insuffisances, ont rarement donné les résultats promis. Religions et gouvernements, despotes et assemblées délibérantes n’ont pas toujours réalisé les espérances qu’ils avaient fait concevoir. Il ne faut pas désespérer. Les hommes évoluent vers un état d’achèvement que les activités cosmiques troubleront tôt ou tard. Par l’évolution même, hérédités et variations réagiront au jour le jour, sur les individualités, sur leurs groupements. Au plus fort des conflits de l’intelligenœ humaine, « le progrès », comme on dit, doit donc fatalement se dérouler en direction du redoutable inconnu.

On voit comment s’est établie la commune moyenne d’opinions qui nous est offerte pour expression suprême d’un jugement d’humanité. Ainsi se fondera l’autorité, au jour le jour, de ce fameux « consentement commun » qui, dans l’histoire, a tout accepté, tout glorifié, du pire et du meilleur, retenant surtout, de la liberté, le droit essentiel d’aberrer. Tout compensé, où chercher, cependant, notre règle d’action, sinon dans l’approbation ou la désapprobation du moment ? Qui fait parler la Divinité elle-même au gré des inspirations humaines ? Ajoutons que l’infériorité intellectuelle du « sens commun » s’aggrave, en général, d’un déchaînement d’émotivités correspondantes, par lesquelles l’homme arrive à se décevoir lui-même sur l’autorité de ses incertaines « convictions ». C’est ce qui explique la cruauté du despotisme et la barbarie des révolutions. Qui ne doute de rien ne peut être bon. Pour ce qu’on est convenu d’appeler les « décisions populaires », tout le monde peut voir qu’elles sont prises dans des conditions d’irresponsabilité générale grâce auxquelles la revanche peut s’offrir à toutes réactions d’hostilité.

Sur les rapports de la puissance délibérante et du pouvoir exécutif, je ne vois de ressources que dans des formules d’idéologie qui peuvent nous fournir tous éléments d’hypothétiques constructions. De même pour le suprême arbitrage de l’opinion publique, par consultation du suffrage universel, au delà duquel je suis sans autre recours que l’appel aux évolutions de temps indéterminés.