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au soir de la pensée

L’institution parlementaire vaut naturellement ce que valent les hommes qui la mettent en œuvre. On en peut faire la trop facile critique, aussi bien que l’éloge, selon l’heure et selon les pays. Telle quelle, on la voit procurer des mouvements hasardeux de parade verbale sur un fond d’instabilité. Question de mesure, déterminée par le caractère et la valeur intrinsèque de personnages choisis, tantôt les yeux ouverts, tantôt les yeux fermés. On ne fait pas vivre la plus infime partie d’idéal par des conjugaisons d’insuffisances, quelles que soient les parures du verbe et les profondeurs de l’intrigue. En des pays divers, on a vu des parodies de parlement décroître d’autorité sans que la faute en puisse être imputable à d’autres causes qu’aux communes défaillances des mandants et des mandataires qui les représentent trop fidèlement.

En dépit de toutes crises, le régime de libre discussion, si l’on peut appeler de ce nom des oppositions de contraires diversement graduées, ne peut manquer de prévaloir pour des avantages à échéances. On peut méconnaître l’intérêt public et mésuser du droit de contrôle pour quelque raison que ce soit, comme on peut abuser de l’autorité. Il arrive aussi que les pouvoirs publics, même insuffisamment organisés, dépassent les espérances qu’ils avaient fait concevoir. Ce n’est pas l’ordinaire. Gouvernement, parlement, presse, connaissent trop bien à quels reproches ils sont ouverts. Les républiques les plus républicaines ne seront un progrès que si elles peuvent mettre l’homme en état de se régler.

Ce sont, en effet, deux entreprises fort différentes d’établir des institutions sur le papier, et de les appliquer dans leur esprit. L’homme conçoit grand et s’obstine à vivre petit. Le désaccord des paroles et des actes est au plus vif de notre misère. Aussi, discutons-nous magnifiquement sur les règles que chacun entend appliquer à autrui, mais auxquelles consciemment ou non, dans le particulier, beaucoup s’efforcent de se soustraire. Tous de donner, dans le même collier d’insuffisance, du meilleur et du pire de leur conscience obscure et même quelquefois éclairée. Car pour le triomphe du caractère, le plus sage est de n’y pas compter.

Tout cela ne résume que trop bien toute l’histoire de nos civilisations, dont les formules, sublimes mais titubantes, annoncent