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au soir de la pensée

Présentement, je ne vois aucune apparence d’un commencement d’évolution sociale qui nous acheminerait de l’universelle polygamie, d’usage surtout masculin, à des vertus de commune monogamie, d’idéalisme féminin. Si l’homme doit rester polygame, est-ce à dire que la femme soit condamnée à se jeter, à son tour, en cette périlleuse aventure ? Dans l’intérêt de tous, il serait préférable que trop de risques de déchéance lui fussent épargnés. Mieux vaut la voir aspirer trop haut, même sans justification suffisante, que de la réduire, par la force de l’exemple, aux extrémités de l’abaissement[1].

J’ai parlé de la femme, notoire exemple de faiblesse, parce que — pour ce qui la concerne — l’abus de la puissance virile est d’évidence, même en des temps de civilisation. Puisqu’on ne peut contester l’inégalité des forces individuelles procédant d’évolutions organiques diversement déterminées, il faudrait, pour la paix des âmes, que le plus faible eût toujours tort, et le plus fort toujours raison. Ce serait rassurant, si les rôles, parfois, ne venaient à s’intervertir. Tel qui a eu discrètement le malheur d’abuser, connaîtra quelque jour, de bonne ou de mauvaise grâce, la cruelle résignation dont les victimes sont réduites à se parer. Il ne manquera point d’appel à la justice des hommes et du Ciel. Hélas ! Les Dieux sont sourds, et les juges, n’étant que des hommes, se laisseront glisser sur la pente des Dieux.

Il n’y a pas de justice, dans l’objectivité du monde. Il y a des luttes de forces où la plus grande l’emporte nécessairement sur la moindre. Notre fonction est de nous en accommoder, en cherchant, selon le cas, des dispositions de forces plus proches d’une passagère équité. Notre justice humaine ne nous en est que plus précieuse — ne nous offrant que des éclairs de relativité.

Pascal a dit et répété là-dessus de profondes paroles. « Sans doute l’égalité des biens est juste, mais ne pouvant faire qu’il soit force d’obéir à la justice, on a fait qu’il soit juste d’obéir à la force, afin que le juste et le fort fussent ensemble et que la

  1. Je suis bien obligé de reconnaître que l’apparition de l’enfant pousse l’homme à la polygamie, comme la femme à la monogamie. Il ne peut y avoir de conciliation, semble-t-il, que dans l’amendement de l’époux.