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Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 2.djvu/439

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au soir de la pensée

n’en peut venir à bout sans des mesures de temps impossibles à calculer. On a pu détruire les oligarchies historiques du rang et de la fortune. Elles renaissent de leurs cendres dans les oligarchies nouvelles, sans le prestige d’ancienneté qui faisait leur puissance.

Sous tous les régimes, comme l’a osé dire La Boétie, le peuple seul est arbitre dans sa propre cause. Mais qu’est-ce que le peuple ? En quelles formes de probité lui est-il loisible, s’il en peut réunir les éléments, de prononcer son verdict ? Et quelles garanties avons-nous que l’exécution n’en sera pas systématiquement différée ou même faussée ? De la doctrine triomphante aux débordements d’empirisme qui sont les spectacles du jour, la distance dépasse nos mesures. Chacun de reconnaître le peuple pour arbitre, mais à la condition de le faire parler. Je n’ai pas à en décrire les moyens. Il suffit d’ouvrir les yeux. Je m’y arrête d’autant moins que, même si la totale probité de la sentence pouvait être assurée, la garantie d’exécution n’en serait peut-être pas sensiblement améliorée dans les heurts du passage de l’idée à l’action. La collectivité peut se tromper aussi bien que l’individu. Où qu’on cherche la vérité fuyante, l’avenir seul fournira l’épreuve qui doit la stabiliser. Et pour combien de temps ? Demain réparera les fautes d’aujourd’hui, à moins qu’il ne les aggrave. Dans les régimes doctrinés, des compensations de méprises ou des discordances de vérités fragmentaires ne nous conduisent pas toujours où nous voulons aller. Si notre propos est faillible, il peut nous rester des chances, quoi qu’il arrive, d’être en état quelquefois de nous en contenter.

L’idéologie veut des institutions dans les données de son cadre, et ces institutions, les grands réformateurs n’ont manqué, ni de les proposer, ni de les confier, révolutions aidant, aux hasards de l’essai. Sur les résultats obtenus, nous commençons à pouvoir porter des jugements. Le problème de la monarchie absolue, après l’épreuve finale de la Russie, paraît désormais hors de cause. Mais sa disparition, même en Extrême-Orient, fait surgir la redoutable question du gouvernement de l’homme par lui-même, en des moyens d’empirisme utilitaire.

L’homme en est venu au point où il doit se gouverner lui-même.