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et après ?

vue. L’infini demeure l’infini, dont notre fini peut saisir des passages sans jamais le circonscrire. Des hommes ont vécu, dont la compréhension des choses était au-dessous de la nôtre. Des hommes vivront, sans doute, dont la compréhension dépassera celle d’aujourd’hui. D’autres vues auront surgi : des confirmations ou des éliminations d’hypothèses. Le contrôle d’expérience aura joué. Des doutes se seront éclaircis. Nous aurons pratiqué des approches nouvelles. Nous verrons ce que nous ne voyons pas encore. Nous verrons mieux ce que nous avons déja vu. Bientôt se feront jour des hypothèses nouvelles, justiciables d’une mentalité de demain, à laquelle nous ne devons pas moins de confiance qu’à celle d’aujourd’hui.

Cependant la somme de nos connaissances positives ne nous permet-elle pas d’entrevoir, dès ce moment, des parties d’avenir qui commencent de s’éclairer ? Il ne peut nous être indifférent d’aller au terme inconnu de notre évolution par un épuisement de déséquilibre ou par un ordre d’ascensions continues en compte avec l’infini. Qu’en pouvons-nous dire ? Comment nous serait-il interdit d’en raisonner sur des fondements d’observations ?

Nous ne pouvons prévoir que deux termes d’évolution planétaire : la rencontre d’un astre qui sillonne en ce moment l’espace, comme notre planète, dans l’inconscience de l’événement qui se prépare, ou l’indéfini refroidissement de notre terre jusqu’à quelque nouvelle forme d’une gestation d’inconnu. La fin catastrophique en pleine floraison de vie civilisée serait, s’il pouvait subsister un spectateur, pour évoquer l’image d’un sardanapalesque bûcher du Cosmos couronnant un monstrueux festin de Balthasar. En plein triomphe d’une connaissance qui nous aurait élevés, par le concours de milliards de révolutions solaires, à un état de relativité supérieure, nous ensevelir sous les mines de la masse planétaire ferait figure d’un dénouement de romantisme achevé.

En ce temps-la, bien entendu, l’homme serait devenu juste, et même désintéressé au delà de tout ce qui se peut dire. Plus de tribunaux, puisqu’il n’y aurait plus de coupables. Pas même de fonctionnaires. Un homme qui aurait tué un papillon pour se nourrir, serait au ban de l’opinion publique. Les rhéteurs ouvriraient des écoles de silence. Personne n’accepterait de gouverner, alléguant qu’il n’est pas nécessaire — beaucoup même soutenant