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au soir de la pensée

Nous prenons aisément notre parti des processus antérieurs à la naissance par lesquels nous sommes déterminés, mais notre indifférence devient émoi, et même épouvante, dès qu’il s’agit de la série des processus qui vont s’ensuivre. Ce sursaut de sensibilité, cependant, ne peut rien changer de ce qui est : voilà ce dont il faudrait nous convaincre pour nous épargner la folie d’interprétations imaginaires où nous faisons triomphalement intervenir nos convenances du jour, à titre d’élément souverain.

Issus des lois cosmiques, et, par là, soumis à l’inflexible déterminisme des choses, nous présentons au monde, dont nous sommes partie consciente, des surfaces de sensibilité où se jouent les images passagères qui opposent les déterminations d’un Moi au Cosmos infini duquel nous tenons, à notre usage, toutes dispositions d’énergies. À quel moment de ce merveilleux passage pourrions-nous insérer le ridicule bêlement de notre malheureux « Et après », qui ne fait que clamer le désarroi de notre intelligence ? Implication imaginaire d’un point de fixité dans l’univers toujours changeant. Valeurs de phénomènes faussées, pour des formules sans correspondances cosmiques. Toujours des mots, pour jouer le rôle d’objectivités.

Après avoir tout reçu des cohérences de l’univers, comment lui imposer telle partie de nos incohérences ? Si tous les moments du Cosmos sont d’un écoulement de « Et après », en de perpétuelles équivalences de transformations, et si le « Et après» de l’ascidie ou de l’amphioxus n’est autre que Newton, pourquoi le chemin de Newton à X serait-il plus merveilleux que de l’ascidie à Newton ? Puisque le problème est posé par la nature des choses, pourquoi donc le vouloir résoudre hors des conditions élémentaires du Cosmos ?

Loin de s’embarrasser d’un tel problème, comme il semblerait qu’ils y fussent tenus, la plupart des humains de nos jours se font un bagage incohérent de disciplines opposées, pour traverser les défilés de la vie sans rompre avec des légendes dont le principal avantage est de leur offrir des chances hypothétiques d’une fixité de joies ou de tortures, jugée par eux préférable à l’évanouissement pur et simple de la personnalité. En d’autres termes, ils arrêtent, dans leur