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et après ?

esprit, l’horloge du devenir pour empêcher le phénomène de passer.

Ce qui demeure de ces incohérences, c’est que notre présente réponse au « Et après » ne peut être, selon nos inductions d’expérience, que composantes d’un passé de plaisirs ou de peines — gammes permanentes de toutes les sensations de la vie. Où chercher le « devenir », sinon dans les amorces du présent, selon les compositions du passé ? Rien ne paraît si naturel que d’escompter les temps futurs au profit d’espérances poussées jusqu’à l’hallucination. La cinétique de notre primitive activité mentale le commande. Prenons garde seulement d’être plus affirmatifs sur ce qui arrivera que sur ce qui est arrivé. En remplaçant l’effort par la chimère, c’est sur notre propre sort que nous aurions prononcé.

S’il y avait un dessein dans le monde, notre élan d’anticipation s’en trouverait simplifié. Pour les raisons que j’ai dites, c’est la question fondamentale sur laquelle nos dissentiments s’accusent dans les termes les plus formels. Ceux qui croient posséder les secrets de leur Providence s’en trouvent fort à l’aise pour exposer ce qu’ils ignorent, et nous montrer gravement, dans les feux de l’enfer, le fondement le plus sûr de leur félicité particulière.

Pour nous, simples humains de l’évolution universelle, nous nous trouvons aux prises avec les phénomènes, sachant bien que leurs stades sans fin auront raison de notre éphémère durée, mais résolus, quoi qu’il arrive, à démasquer, dans la mesure du possible, quelque chose de l’inconnu qui se dérobe à chaque détour de toutes activités. Cependant, nos sectateurs de l’absolu, destinés à « vivre de vent », comme les loups de François Villon, vont, tête à l’aventure, nous reprochant d’être « enfoncés, dans la matière » hors de laquelle, en vérité, l’âme des métaphysiciens eux-mêmes, n’a pas pu jusqu’ici se manifester.

Le plus beau de l’hypothèse d’un dessein est que, dans le silence de la Divinité, nous nous trouvons en possession d’établir, en son nom, un plan de l’univers à notre guise, alors que sous la maîtrise des éléments, nous n’avons d’autre issue que d’accepter la destinée. L’idée d’une évolution humaine infinie ne se peut déduire des lois reconnues. L’idée d’un temps d’arrêt