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au soir de la pensée

si contraire à la nature des choses qui nous fait oublier tous les changements de l’homme et du monde, pour immobiliser, à nos propres fins, la mobilité ?

Les jugements de l’homme évolutif sur la mort ayant si remarquablement varié dans le cours des âges, je n’ai point de raison de m’en tenir à la présente émotivité du premier sacristain de passage. Les fondements de la connaissance sont magnifiquement en voie de se déplacer. Tôt ou tard il faut que nos émotivités en subissent la conséquence pour s’ordonner, se développer selon les directions de la positivité.

Dans quelles conditions et pour quels résultats se trouvera modifiée par la suite des temps, non pas notre conception de la mort, mais l’émotivité, l’éréthisme de sensibilité correspondante dont l’élan organique doit être nécessairement à bout de course tôt ou tard ? Je ne voudrais point abuser, à cet égard, du droit de conjecture. Il me sera seulement permis de penser que l’éducation de notre sensibilité nous mettra quelque jour au point d’abdiquer toutes craintes d’une vie plus douloureuse que la vie planétaire. Pour le changement des émotivités relatives à l’événement de la mort, il faudra le changement de notre conception de la vie, tant par des accroissements de connaissance positive que par des adaptations nouvelles des mouvements de notre sensibilité.

Je me suis rangé à l’opinion de Sainte-Beuve observant que l’homme qui réfuta vraiment Pascal, en proie à ses terreurs de l’inconnu, fut Buffon, engagé dans les voies où Lamarck et Darwin allaient passer. De ce jour commença, en effet, le conflit des généralisations biologiques et des émotivités de méconnaissances héréditaires dont le retentissement subsiste encore en nous. De quoi nous ne pouvons prévoir qu’un achèvement possible : l’accroissement de la connaissance et l’apaisement coordonné des primitives trépidations de notre sensibilité. C’est une évolution, et même une révolution de l’homme — lente assurément mais inévitable — de laquelle nous pouvons attendre une transformation des données subjectives de la vie humaine, de la naissance à la mort.

Qu’importe, en tout cela, la durée de notre existence, si la brièveté de son passage conditionne la subjectivité de sa grandeur ? La durée n’est qu’un facteur secondaire d’une harmonie des