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et après ?

valeurs. Calme ou troublée, heureuse ou malheureuse, si la vie est un effort continu de disciplines ordonnées, la perspective d’un repos ne peut être que bienvenue — oubli des déceptions, guérison des blessures, contentement d’un mérite, médiocre peut-être, mais courageusement rempli. C’est ce qu’a doucement exprimé notre poète, proposant

Qu’on sortît de la vie ainsi que d’un banquet.


J’y trouve le mot juste d’une saine philosophie des choses. La vie est un banquet dont la beauté, pour chacun, est en proportion de l’écot, si le plaisir supérieur est vraiment de donner de soi tout ce qu’on peut. Se plaindra-t-on que la cérémonie finisse trop tôt par l’épuisement des sensibilités, et cherchera-t-on, comme les Romains de la décadence, tous moyens d’éterniser le festin ?

... Je ne veux pas mourir encore,


murmure poétiquement la Jeune captive. Dites-moi donc, puisque vous demandez la continuation de la vie, ce qu’il vous faudrait pour l’accepter avec toutes ses conséquences. Pleurer n’est ni vivre ni mourir. Tout au plus est-ce palpiter d’impuissance, quand la condition humaine serait de comprendre, de vouloir, d’accomplir. Qui ne s’est pas haussé jusqu’à l’émotivité du désintéressement suprême n’est pas digne des beautés de la mort, en laquelle les rythmes de l’action et du repos, étroitement liés l’un à l’autre, se commandent réciproquement.

N’en viendrez-vous donc pas, hommes, à découvrir, dans cette confrontation de vous-même et du monde, au tribunal de votre sensibilité, que l’affre de la mort, qui vous hante sans cesse, ne fait que dénoncer vos défaillances de cœur ? « Et après ? » dites-vous. « Et avant ? » répondrai-je où étaient vos titres et qu’en faisiez-vous ? Ce temps vous aurait-il laissé un mauvais souvenir ? La question n’était-elle pas la même aux deux extrémités de cette existence qui vous fait exhaler tant d’inutiles plaintes de la naissance à la mort ?

Avant de mourir, qu’avez-vous donc fait de ces puissances d’action qui vous furent remises, et auxquelles vous ne voulez pas renoncer ? Des recherches de médiocres plaisirs, y compris celui d’accuser le monde pour ne pas vous accuser vous-même,