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et après ?

les effets des réalisations terrestres, feuilletez l’histoire humaine.

L’inévitable accroissement des connaissances, hors du règlement des émotivités par les déterminations du caractère, ne pourra donc que faciliter les conditions de ce bonheur auquel nous ne cessons de prétendre, et qui semble, trop souvent, se dérober dès que nous croyons le saisir. Nos aïeux de 1789 crurent innocemment qu’un code de douceur nous mènerait aux portes d’un achèvement de félicités. Venus des écoles de l’Église, nos « libérateurs » firent confiance d’abord, comme leurs maîtres, aux paroles d’amour pour les appuyer bientôt des échafauds. Supprimer l’adversaire, pour se débarrasser de l’idée, est une vue de dogmatique. Le premier bienfait de la connaissance relative est de nous enseigner l’universelle tolérance. Le malheur veut que notre empirisme ne se soit pas encore haussé jusqu’à faire mieux que de la recommander.

Il faut, d’ailleurs, que notre conception du bonheur évolue. Et, dès qu’elle s’est élevée au-dessus des contingences personnelles où nous l’avons d’abord spontanément cherchée, nous découvrons que la poursuite d’un bonheur égoïste, toujours fuyant, ne peut suffire à la beauté d’un emploi de notre vie. Ce que nous avons demandé de notre Dieu, c’est de ne pas fermer la porte à l’espérance d’un état meilleur que sa création.

S’il faut que l’expérience élimine l’impuissante « Providence », il nous restera notre propre effort pour l’établissement d’une brève durée d’un contentement terrestre au profit de tous et de chacun. En d’autres termes, l’évolution de l’homme doit amener la transformation du caractère et de la qualité des félicités individuelles auxquelles il ne cesse d’aspirer, en le soulageant des craintes qui ne cessent de l’assiéger. Le bonheur à la portée de nos plus émotives dévotes est encore aujourd’hui d’une construction de primitivité. Souffrir le moins possible sur la terre, et jouir par anticipation, on ne sait où, d’un éventuel on ne sait quoi, atteste, comme aux premiers jours, des simplicités d’entendements. La bête fuit la souffrance comme nous-mêmes, mais n’a point accès aux généralisations qui aspirent à commander le « devenir ». Il doit être permis à l’homme évolué de chercher au delà des besoins de la mentalité du quaternaire.

La qualité du bonheur sera plus affinée et la valeur de la souffrance, aux estimations générales de notre vie, pourra trouver