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au soir de la pensée

une plus sûre atténuation dans le redressement d’un stoïcisme capable de porter l’homme au plus haut de lui-même, Ne voit-on pas que tous ceux qui ont affronté les tortures et la mort pour une idée ont cherché des satisfactions au delà de la commune mesure, et paraissent les avoir trouvées. Le discours de Socrate à ses juges est-il donc de gémissements ? Le condamné regarde la mort avec placidité. « Le temps est venu de nous séparer, dit-il simplement, à ses bourreaux, vous pour vivre et moi pour mourir. Le Dieu seul pourrait dire à qui revient la meilleure destinée »[1]. Ne vous semble-t-il pas qu’un rideau se déchire et que l’homme, grandi, se découvre maître de ses destinées ?

Longtemps avant Socrate, le Bouddha, suivi de ses disciples par centaines de millions, avait vécu dans la plus haute noblesse de lui-même, sans autre attente, après une vie bien remplie, que d’un éternel repos.

Cependant, la plupart des hommes vivent et meurent sans avoir compris que la vie indéfiniment prolongée, dont ils s’attribuent le privilège, est un non-sens cosmique en contradiction de tout ce que l’expérience nous oblige de constater. Notre simple vieillesse atteste une régression organique au jour le jour, une évolution en cours d’épuisement. L’Église s’abstient prudemment de dire à quel âge nous devons ressusciter. Ce serait appeler trop de controverses fâcheuses. La durée de notre vie conditionne mérites et fautes. Nous n’en sommes pas plus responsables que de notre naissance, et c’est tout justement de quoi la Puissance absolue nous récompense ou nous punit. Car la Providence ne connaît qu’un schéma de fixité humaine, tel que l’ont pu concevoir les intelligences primitives. Elle ignorait l’évolution biologique aussi bien que la rotation de la terre. Nous avons vraiment appris trop de choses dont la connaissance lui avait échappé.

Si notre conception du monde, humanité comprise, nous fournit nécessairement les ressorts de notre activité individuelle, l’orientation générale de notre vie, selon la loi des moindres résistances, trouve sa plus haute déterminante dans une aspiration d’idéalisme faisant l’office d’un phare, ou d’une étoile,

  1. Le malheureux Galiléen se révéla tout humain par son « Eli lamma sabacthani ». Il fut grand par l’émotivité plus que par la philosophie.