Celui qui hésite à bondir dans l’avenir, reprend l’apôtre libertaire, n’a pas droit à la gloire. Et que dire des enfermés volontaires, du cloître où se réfugient la douleur ou l’orgueil naufragés ? Il y a encore les mauvais poètes, qu’il fustige dans une épître à une dame :
Non ! nous n’écrivons pas pour tous ces goûts malades
Qui n’aiment que les vers arrangée en charades,
Et que les pensers forts exprimés fortement
Étonnent d’un profond et morne accablement.
. . . . .
Ah ! tenons en horreur toutes choses fardées :
Soyons francs dans nos mots comme dans nos idées.
Il leur oppose le Poète, seul digne du nom :
Le vrai poète est fier ; et, fils de la tempête,
Il va toujours devant, tient toujours haut sa tête.
Et, mécontent toujours du présent malvenu,
Du sommet idéal il plonge en l’inconnu.
Il faut posséder par excellence l’activité qui devance la foule et l’éclaire,
pour n’être jamais content du présent et toujours le trouver malvenu.
Pourtant, ce fils d’un siècle rebelle sait que ce siècle porte en ses larges
lianes une humanité nouvelle, et même, n’accepterait-il pas l’ancien Dieu, si
l’aucien Dieu consentait à être… un Dieu nouveau ?…
Nous qui, sans hériter, fils de l’humanité,
Voulons, à livre ouvet, lire l’éternité,
Et voir si quelque Dieu, que le présent ignore,
Ne dort pas, jeune enfant, au berceau de l’aurore.
Elle est passée, l’aurore, et le soleil se lève ! Mais le Dieu nouveau, ne le
cherchez plus en orient : il n’y a que son origine, comme nous tous ; pour
la première fois, c’est en occident qu’il apparaît : et pourrait-il en être
autrement, puisqu’il est fait de la sève séculaire de l’Europe, du rêve séculaire de la France, de la flamme inextinguible de la Révolution, de la raison
et de la science, autant que de la tradition poétique et héroïque ? Quoi ! un
Dieu qui acceple la Révolution française ? Mais oui : Danton l’a invoqué le
matin de sa mort, Robespierre le nommait l’Être suprême, d’autres le
désignent le Grand Architecte, et vous-même, — vous-même lui dites le
Grand-Tout. Moi je garde le mot Dieu, plus court, plus simple ; et puis, j’y
suis habitué. Ne chicanons pas sur un mot. Mais justement, direz-vous,
l’habitude d’un mot est gênante pour l’esprit. Allons donc ! La France,
depuis dix siècles, a-t-elle changé de nom ? Elle s’est cependant transformée
par la Révolution. Dieu, sans changer de nom, peut se transformer aussi :
il suffit de dire comment vous le voulez. — En attendant, Ricard fuit les
pâles rimeurs attardés dans le siècle :
Mais suivons, chers amis, suivons le vrai poète
Dans l’idéal sacré qu’il gravit jusqu’au faite ;
Chantons derrière lui nos joyeux chants d’amour ;
Aimons-le, celui-là, car il nous mène au jour.