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Soyons scientifiques. L’histoire est l’histoire, et sur la mission de Jésus, nous ne possédons absolument que les quatre Évangiles et les Actes des apôtres. Où diable avez-vous lu que le citoyen Jésus ait prononcé de telles paroles ? Ne serait-ce pas dans une soirée regrettable de l’atelier Massol ? — Si Jésus avait étranglé la vie, vraiment, depuis dix-neuf siècles, aurait-on vu cette montée nouvelle et superbe de l’amour non plus seulement humain, c’est-à-dire en somme animal, mais à la fois humain et divin ? L’amour ! mais des milliers de héros et d’héroïnes l’ont perpétué dans l’ére chrétienne, et comptez les poètes dont ce fut la muse préférée. « Aimez-vous les uns les autres ». Certes ! et dans la foi nouvelle, je demande qu’on garde cette parole de Jésus, qu’il l’ait dite le premier ou après des précurseurs. Ce n’est pas Pan amoureux qu’il vainquit, c’est Pan débauché ; et c’est fort différent.

Avec la lutte des deux lumières, nous rentrons dans l’histoire. La lumière ancienne doit faire place à une lumière nouvelle : revoilà science et logique. Tout coopère à la loi renouvelée :


Cette voix est un chœur ; elle est le chœur immense
Que forme de la terre au ciel tout l’univers ;
Tous s’y mêlent, selon leurs échelons divers,
Jusqu’à l’être inconnu que sa profondeur voile :
La fleur, humble, applaudit aux strophes de l’étoile,
Et les cris de l’insecte et les chants de l’oiseau
Aux lents susurements de la lettre et de l’eau.


À son tour parle la nature, et son heure de triomphe étant revenu, elle s’en exalte : Oui, c’est moi qui l’emporte !

J’ai grandi lentement, à travers tous les âges


Mais au contraire, c’est aux premiers âges que vous fûtes formidablement grande, et à travers les siècles vous êtes allée toujours de plus en plus vers la politesse.

En vain chercherait-on à me vaincre aujourd’hui !


La pauvre s’abuse ; elle a cru que la liberté était pour elle, et le peu qu’elle en absorbe grise cette vieillarde. Or, l’instinct éternel du poète veille, il morigène cette nature qui trébuchait, et qui, de meilleur sens, dit : Où donc est l’esprit de l’ancienne lettre ?


Il est allé mêler sa poussière féconde
Au chaos fermentant des révolutions.


Donc, il n’est pas mort ; donc, s’il anime nos révolutions qui sont bonnes, c’est qu’il était bon lui-même. Comme on se retrouve, Ricard, quand on le veut loyalement ! C’est qu’en ce temps ou il écrivait, la nature était une voix de la liberté étouffée par l’empire et le cléricalisme, et cela explique toutes les rigueurs du combattant, comme cela donne à sa poésie la