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Page:Closset - L’Ombre des roses, 1901.djvu/72

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Elle tendit ses mains ouvertes devant elle. Il y tomba les présents de la nuit, — on eût pensé deux étoiles filantes — mais c’était à vrai dire, en l’une, un tout petit papier roulé ; en l’autre, un brin de plume de mouette.

Gilles regarda cet enfant ; il eut un grand amour pour elle et proféra très sobrement le mot, ce triste mot : « Madame » qu’il avait appris en naissant. — Mais elle ne lui parla pas et disparut tout aussitôt.

Gilles courba comme un roseau battu d’orage son échine, et ramassa les dons qu’elle avait laissé choir.

Puis il invoqua sans savoir : « Ô Mer, ô Nuit pâle, ô Tristesse, ta face est le ciel invisible, ton corps est l’ombre impalpable du vent. Quant à ton âme, ce soir je suis cette âme… Ô Lamentation de la mer, si j’ai gagné pour toi le large, j’ai quitté les douces maisons et tu ne m’as pas consolé. Ô cierge vierge que me voici au bord des nuits et de toute aventure, brûle ta cire en patience, brûle ta cire en solitude. Ô pauvre amour de moi-même, que je dorlote, ô désespoir de te chérir, mon Désespoir !

J’irai, j’irai… j’atteindrai les pins parasols, noirs et verts sur la baie d’Irlande, où la mer est brillante et pâle comme le visage d’une fiancée qui attend.

Ainsi qu’un arbre que le vent rebrousse sans cesse d’un seul côté et qui se couche sur son ombre tant que le soleil luit, mon âme plie sur son orgueil — comme un démon merveilleusement triste qui vole avec deux ailes jointes devant sa face, et deux autres devant ses pieds, et deux autres dressées, — je vais et je suis seul.

J’ai vu, j’ai vu ce cerf-volant que rien ne mène et je me suis orienté à lui comme un perdu, comme un autre éperdu

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