Page:Cocteau - Le Coq et l’Arlequin.djvu/66

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Une part morte (Exemple : la direction des pieds immobiles, simple souci de contredire la pose traditionnelle des danseuses, les pointes en dehors), et une part vivante (Exemple : l’Orage, et cette danse de l’Élue, danse naïve et folle, danse d’insecte, de biche fascinée par un boa, d’usine qui saute, en fait, le plus bouleversant spectacle au théâtre dont je me puisse souvenir).


Ces différents apports formaient donc un ensemble à la fois homogène et hétérogène et ce qu’il pouvait y avoir de défectueux dans le détail fut volatilisé, déraciné par des tempéraments irrésistibles.

Ainsi, connûmes-nous cette œuvre historique au milieu d’un tel tumulte que les danseurs n’entendirent plus l’orchestre, durent suivre le rythme que Nijinsky, trépignant et vociférant, leur battait de la coulisse.

Après cette ébauche de ce qui allait se passer sur la scène, prenons la petite porte de fer, et passons dans la salle. Elle est comble. Il y a là, pour un œil exercé, tous les matériaux d’un scandale : public mondain, décolleté, harnaché de perles, d’aigrettes, de plumes d’autruche ; côte à côte avec les fracs et les tulles, les vestons, les bandeaux, les loques voyantes de cette race d’esthètes qui acclame le neuf à tort et à travers par haine des loges (les acclamations incompétentes de ceux-ci plus insupportables que les sifflets sincères de ceux-là). J’ajoute les musiciens fébriles, quelques moutons de Panurge gênés entre l’opinion mondaine et le crédit qu’il convient de faire aux Ballets Russes, Et, si je n’insiste pas, c’est qu’il faudrait signaler mille nuances de snobisme, sur-snobisme, contre-snobisme, nécessitant à eux seuls un chapitre.