Page:Cocteau - Le Coq et l’Arlequin.djvu/72

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déchaînant (ce qui eut lieu) la haine, le rire, les haussements d’épaule de la foule, par l’étrangeté de leur aspect et de leurs mœurs.

À cette phase de « Parade » trois acteurs, assis à l’orchestre, criaient, dans des porte-voix, des réclames grosses comme l’affiche KUB, pendant les poses d’orchestre.

Dans la suite, à Rome, où nous allâmes avec Picasso rejoindre Léonide Massine pour marier décor, costumes et chorégraphie, je constatai qu’une seule voix, même amplifiée, au service d’un des managers de Picasso, choquait, constituait une faute d’équilibre insupportable. Il eût fallu trois timbres par manager, ce qui nous éloignait singulièrement de notre principe de simplicité.

C’est alors que nous substituâmes aux voix le rythme des pieds dans le silence.

Rien ne me contenta mieux que ce silence et que ces trépignements. Nos bonshommes ressemblèrent vite aux insectes dont le film dénonce les habitudes féroces. Leur danse était un accident organisé, des faux pas qui se prolongent et s’alternent avec une discipline de fugue. Les gênes pour se mouvoir sous ces charpentes, loin d’appauvrir le chorégraphe, l’obligèrent à rompre avec d’anciennes formules, à chercher son inspiration, non dans ce qui bouge mais dans ce autour de quoi on bouge, dans ce qui remue selon les rythmes de notre marche.

Aux dernières répétitions, le cheval tonnant et langoureux, lorsque les cartonniers livrèrent sa carcasse mal faite, se métamorphosa en cheval du fiacre de Fantômas. Notre fou rire et celui des machinistes décidèrent Picasso à lui laisser cette silhouette fortuite. Nous ne pouvions pas supposer que le public