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LES CAHIERS

compagnie, qu’on voulait me récompenser : « Mais, leur dis-je, je ne sais ni lire, ni écrire. — Vous apprendrez. — Mais ça n’est pas possible ; je vous remercie. — Vous serez caporal aujourd’hui, et si le général vous demande si vous savez lire et écrire, vous lui répondrez : Oui, général, et je me charge de vous faire apprendre. J’ai des jeunes vélites instruits qui se feront un plaisir de vous montrer. »

J’étais bien triste, à trente-trois ans, d’apprendre à lire et à écrire ; je maudissais mon père de m’avoir abandonné. Enfin, à midi, M. Belcourt et mon capitaine furent au-devant du général et lui parlèrent de moi : « Faites-le sortir du rang. »

Il me toise des pieds à la tête, et, voyant ma croix, il me demande : « Depuis combien de temps êtes-vous décoré ? — Des premiers, je l’ai été aux Invalides. — Le premier ? me dit-il. — Oui, général. — Faites-le reconnaître caporal de suite. »

Il était temps ; je tremblais devant cet homme si dur et si juste. Toute la compagnie fut surprise en me voyant nommer caporal dans la même compagnie ; personne ne s’en doutait ; tous les caporaux vinrent m’entourer et me dire obligeamment : « Soyez tranquille, nous vous montrerons à écrire. »

Rentré dans mon logement, je fus de suite trouver mon sergent-major qui me prit la main : « Allons de suite chez le capitaine. »