Page:Coignet - Les Cahiers du capitaine Coignet, 1883.djvu/44

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
5
DU CAPITAINE COIGNET.

mes pieds dans ses jambes de derrière, et ma tête sur son cou.

Mais, vers deux heures du matin, mes six bœufs se levaient sans bruit, et mon camarade se levait sans que je le sentisse. Alors le pauvre pâtre restait sur la place, ne sachant de quel côté trouver mes bœufs, dans l’obscurité. Je remettais mes sabots, et je prêtais l’oreille. Je m’acheminais du côté des jeunes bois, en rencontrant des ronces qui me faisaient ruisseler le sang dans mes sabots ; je pleurais, car mes cous-de-pied étaient fendus jusqu’aux nerfs.

Souvent je rencontrais des loups sur mon passage, avec des prunelles qui brillaient comme des chandelles, mais le courage ne m’a jamais abandonné.

Enfin, retrouvant mes six bœufs, je faisais le signe de croix. Combien j’étais heureux ! Je ramenais mes déserteurs vers mes trois voitures qui étaient chargées de moulée, et là j’attendais mon maître pour les atteler et partir sur le port. De là, je revenais au pâturage ; le maître me laissait là le soir. Je recevais ma miche et toujours les deux œufs cuits avec des poireaux et de l’huile de chènevis. Et tous les jours la même chose pendant trois ans ; la marmite était renversée sous la maie[1]. Mais le plus pénible, c’était la vermine qui s’était emparée de moi.

  1. Mot à mot : la marmite restait vide sous la huche à pétrir. C’est-à-dire : le pain sec remplaçait la soupe.