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À cette heure, la stature robuste du comte prit à mes yeux des proportions plus amples et plus hautes ; sur ses épaules à la carrure puissante s’élevait sa tête énergique, couronnée d’une épaisse chevelure que le vent soulevait comme une auréole ; tout à coup cette figure placée dans l’ombre évoqua pour moi la figure bien connue d’un vaste génie. — Je crus voir planer dans la brume le fantôme du grand Balzac. Le Molière et le Shakespeare des romanciers me souriait de sa lèvre bienveillante ; mais dans son œil profond, limpide et fascinateur comme l’Océan, Je lisais le dédain superbe et serein que la force a pour la faiblesse ; il me semblait que sa voix, se réveillant de la mort, murmurait à mon oreille : « Que peux-tu et que peuvent de plus habiles que toi dans ce champ du réel que j’ai défriché à grands chocs de charrue, de pioche et de sape, creusant les terres molles et faisant sauter les rocs ardus ! travailleur infatigable, fougueux et patient, savant et inspiré tour à tour. Aussi que de moissons dorées et que de fleurs rares ont poussé dans ce champ défoncé par moi. Oh ! pauvres chétifs essoufflés que vous êtes ! vous errez dans des landes planes, et si parfois vous y découvrez un filon, d’où j’aurais tiré de l’or, vous n’en faites jaillir qu’une poussière sèche ! »