Page:Colet - Les Derniers Marquis - Deux mois aux Pyrénées - 1866.djvu/19

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 5 —

dessinait admirablement les paysages grandioses qui nous entouraient et écrivait les traditions du Béarn. C’était une femme d’une rare supériorité, et quoiqu’elle eût quarante ans, sa beauté avait été telle que les jours où elle relevait ses épais cheveux d’un blond vénitien en bandeaux ondés et les massait vers la nuque en torsade ornée d’une barbe de dentelle et d’une fleur, elle causait encore une sorte d’éblouissement quand elle apparaissait dans sa robe de taffetas noir collante à sa taille superbe. Mais presque toujours accablée par la souffrance, elle arrivait à table en robe de chambre et en bonnet, insoucieuse des regards, et ne parlant à personne. Elle passait la journée dans les vallées les plus sauvages, dessinant et prenant des notes ; le soir elle ne paraissait jamais au salon où les danses et les parties de jeu de cartes et de dominos se formaient.

Je l’avais rencontrée plusieurs fois dans la campagne ; nous commençâmes par nous saluer et par échanger quelques paroles ; mais insensiblement l’affinité de nos pensées nous lia. Je savais qu’elle aimait la solitude ; elle m’était à moi-même nécessaire ; aussi nous laissions-nous l’une à l’autre une entière liberté ; mais sitôt qu’elle souffrait ou que je souffrais, nous nous rapprochions bien vite. À table elle était placée auprès de moi ; j’étais la seule personne avec qui elle