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causât ; pour tous elle était polie mais réservée, ou plutôt la rêverie active de sa pensée la suivait partout et lui dérobait pour ainsi dire ce qui se passait autour d’elle ; cela lui donnait un grand charme ; j’ai dit qu’elle avait des jours, où sa beauté était encore surprenante.

Vis-à-vis d’elle étaient assis le bel Italien mourant et l’écolier dégingandé ; ce dernier formait un grotesque contraste avec son voisin : l’un, quoique inerte, était un des types le plus accomplis de la beauté des peuples du Midi, et l’autre, le représentant le plus criant de ce que j’appellerai la laideur du Nord ; il était long comme un peuplier, avec des mains osseuses paraissant aussi disproportionnées que son corps ; même développement démesuré dans ses pieds. Sur son cou haut et maigre perchait une tête grimaçante ; la mâchoire était en saillie ; d’une bouche énorme sortaient des dents irrégulières comme des défenses, la lèvre supérieure essayait en vain de les comprimer et c’est sans doute à la tension perpétuelle de cet effort impuissant que cette large lèvre devait d’être recouverte sans cesse d’une floraison de boutons. Le nez était long, mais carré vers le bout et déviant à gauche ; les yeux noirs, assez grands, louchaient quand ils voulaient regarder, et, comme ils regardaient toujours, ils louchaient sans cesse ;