Quand tu presses tes bords de sauvages étreintes,
Quand tu n’es que sanglots et lamentations,
Mer, je crois voir en toi l’immense amas des plaintes
Et des pleurs confondus des générations !
Ces longs gémissements qui meurent sur tes rives
De nos propres douleurs me semblent un écho ;
Je m’incline au-dessus des vagues attractives
Et je comprends Sapho !
Ton flux montant toujours sur la roche qu’il creuse
Est moins rongeur qu’en nous les âpres passions ;
Et le suaire froid de ta vase visqueuse
Moins glacé que l’oubli de ceux que nous aimions.
Moins amer est le flot de ta sombre marée
Que l’âcre désespoir d’un amour outragé ;
Et dans la trahison l’âme désespérée
Trouve un gouffre plus noir qu’en toi le naufragé.
Oh ! que nous voulez-vous, vagues insidieuses ?
Parfois vous vous dressez avec des bruits si doux
Que l’essaim éperdu des âmes malheureuses
Voudrait aller à vous.
Aux grands cœurs méconnus vous donnez le vertige
Et vous les attirez dans vos cercueils ouverts !…
Il est fier d’y tomber sans laisser de vestige
Aux spectateurs blasés de ce froid univers.
Montez, montez vers ceux que l’angoisse consume !
Couvrez leurs pieds lassés et leurs fronts abattus ;
Ensevelissez-les dans votre blanche écume ;
Vous pleurerez sur eux quand ils ne seront plus.
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