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Page:Colet - Lui, 1880.djvu/138

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— Parlez, parlez encore, lui disais-je, en le contemplant en extase.

Mais tout à coup il me regarda d’une façon amère et sarcastique.

— Vous êtes une prude, une femme de marbre, s’écria-t-il, vous me faites vibrer comme un instrument au lieu de m’aimer. Et me saisissant énergiquement dans ses bras, lui si faible, il se mit à courir dans l’allée sombre, en répétant d’une voix sourde : Il faut m’aimer ! il faut m’aimer !

Bientôt il me déposa comme épuisé au pied d’un arbre.

— Oh ! n’ayez pas peur de moi, me dit-il avec douceur, voyez, je suis à vos pieds, moi qui n’ai jamais mis le genou en terre sans y mettre le cœur.

Il y avait dans sa soumission quelque chose de si tendre que j’en fus saisie ; il restait là, tremblant devant moi, comme un pauvre enfant, lui, le grand poëte tourmenté, l’implacable railleur vaincu par la passion.

J’eus un moment d’orgueil et d’ivresse.

— Vrai ! vrai, vous m’aimez ! lui dis-je, en tendant vers lui mon visage étonné. Je sentis alors ses lèvres courir frénétiques et rapides sur mon front, sur mes yeux, sur ma bouche ! Je lui échappai violemment et m’élançai au hasard dans les allées. J’atteignis la voiture et m’y blottis ; un instant j’eus la pensée de partir sans l’attendre, mais toute mon âme se révolta contre cette tentation de dureté que me suggérait mon aveugle passion pour Léonce. Le laisser là, seul, dans la nuit, exposé à