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Page:Colet - Lui, 1880.djvu/145

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beau et heureux autant que l’homme peut l’être. »

La foule, poursuivit-il, ne se passionne que pour l’exagération et l’emphase ; je n’aspire pas à plaire à ce public banal ; je vous ai dit pour lui mon dédain ; je ne suis véritablement connu et aimé que par quelques amis qui savent ce que j’ai souffert dans la recherche douloureuse de l’amour, qui est aussi la recherche de l’idéal ; où le vulgaire n’a vu qu’une passion personnelle, vous verrez, j’espère, la manifestation de mon âme et, partant, de l’âme humaine. Ne croyez pas que, dans le récit que je vais vous faire, je cherche à amoindrir et à avilir Antonia comme d’autres le feront peut-être un jour pour me venger ; non, non, je vous parlerai d’elle avec tendresse et justice, mais avec une inexorable vérité, et, quand vous m’aurez entendu, vous m’aimerez !

Malgré la curiosité très-vive que m’inspirait cette histoire, je crus devoir lui dire loyalement :

— Mais je vous jure que ce n’est point le souvenir d’Antonia qui est entre nous, l’obstacle à l’amour vient d’ailleurs.

— Je sais, je sais, reprit-il, je l’ai deviné, et je vous l’ai déjà dit : je suis maladif et vieilli, mais quand vous m’aimerez vous n’y penserez plus ; ce sera, comme hier soir, dans les ténèbres, quand mon âme vous attirait tout entière ; d’ailleurs, je redeviendrai si jeune et si gai en vous aimant que vous finirez par en être séduite. C’est ainsi que j’étais quand j’aimais Antonia.