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pénètrent, nous analysent, nous traitent de pair. Sitôt que quelque conflit s’engage, notre orgueil brutal d’homme habitué à la domination s’indigne de leur hardiesse. Dans les transports de l’amour, la parité était admise, exaltée, proclamée avec bonheur ; car la valeur de la femme doublait la puissance de l’homme. Dans toute autre occasion, elle est niée, outragée, et parfois rejetée comme une entrave à notre liberté. Il nous en coûte d’avoir à compter avec leur intelligence. Les femmes ordinaires nous cèdent et nous adulent dans tout ce qui est du ressort de l’esprit ; elles n’appliquent leur pénétration et leurs finesses natives qu’à nous enchaîner ou à nous tromper sans nous contredire et avec une passivité d’esclave.

Dieu m’est témoin qu’avec Antonia je ne commençai point la lutte : j’aimais ses facultés merveilleuses, sans songer à la diriger ni à la combattre, lors même qu’elle me heurtait par ses idées. Je hais le métier de pédagogue ; peu capable de me conduire moi-même, je me crois inhabile à conseiller personne. Ceux que j’aime me plaisent tels quels ; je ne me flatte pas d’être un plus grand maître que la nature : elle nous fait comme elle l’entend ; à peine si nous pouvons nous-mêmes nous transformer lentement par la réflexion et par la douleur.

Antonia eut dès le premier jour la prétention de me modifier. J’avais quatre à cinq ans de moins qu’elle, ce qui, joint à ses penchants de protection et de prédication, lui inspirait des manières maternelles qui me