Page:Colet - Lui, 1880.djvu/158

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 137 —

sionnée que par intermittences : elle déposait son exaltation avec sa plume ; elle devenait alors complètement inerte, ou bien elle avait des raisonnements à perte de vue sur ce qu’elle appelait la dignité humaine. C’était un être tout d’une pièce, à qui je sentais que ma nature complexe échappait, et qui devait presque me dédaigner en secret. Plus tard, quand je lui ai vu louer avec une apparence de bonne foi deux ineptes poëtes ouvriers, je me suis demandé si même le côté littéraire de mes ouvrages avait été compris par elle.

Mais, je vous le répète, ces dissemblances de nos esprits, qui dès les premiers jours se produisirent entre nous, n’atténuèrent en rien mon ardent amour pour elle, et ce n’était que lorsqu’un de ses ennuyeux amis se trouvait en tiers dans nos discussions que j’avais quelque mouvement d’humeur contre elle. Un jour où elle se montra froide et formaliste comme une nonne, il m’échappa de lui dire :

— On voit bien, ma chère, que vous avez passé votre enfance dans un couvent, vous en conservez des airs de béguine que tout votre esprit et toutes vos escapades auront de la peine à vous faire perdre.

Le plus adulateur de ses amis répliqua que j’avais le langage d’un libertin, et que je ne comprendrais jamais la grandeur du sacrifice et de l’amour d’Antonia. J’aurais voulu jeter cet homme par la fenêtre, et les autres aussi, car les camarades d’Antonia, comme elle appelait ces messieurs, irritaient mon bonheur par leur