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joues colorées, le mouvement de son sein, et son sourire errant dans un songe ; je me disais : « C’est mon image encore qu’elle caresse à son insu ! » Quand elle s’éveilla, elle m’entoura de ses bras, en me remerciant du soin que j’avais pris d’elle. Nous nous remîmes à marcher, nous racontant des histoires de notre enfance. Nous nous interrompions souvent pour regarder la majesté de la forêt dont les aspects variaient à chaque instant. Vers le soir, nous arrivâmes au milieu d’un amas de rocs géants et bouleversés qui était le but de notre excursion. C’était quelque chose de grandiose et de sinistre à la fois que ces énormes blocs recouverts de mousses et de végétations, et qui semblaient avoir été disjoints par quelque lointain tremblement de terre. Des plantes robustes avaient poussé dans leurs flancs déchirés ; de grands chênes montaient de leurs entrailles ; parfois un filet d’eau souriait et gazouillait autour de leur base formidable ; c’étaient des contrastes de force et de grâce inouïs ; je disais à Antonia :

— C’est comme ta personne où le génie et la beauté s’unissent.

Je voulus gravir jusqu’au sommet d’un des rocs le plus haut, et je lui criai de me suivre : mais elle, qui jusqu’alors s’était montrée infatigable, me supplia de la laisser en bas sur un tas de feuilles mortes où elle s’était assise. Ses forces défaillaient, me disait-elle, elle m’attendrait là sur ces feuilles qui formeraient un doux lit pour la nuit. Je la plaisantais sur sa fatigue, et je montais toujours en lui répétant : « Suis-moi ! suis-moi !