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dant, je n’allais pas vers elle pour l’aider ; je me disais : « Si je la rejoins, elle me forcera à descendre et ne voudra plus monter. » Il me semblait que nous serions si bien, si loin du monde à cette place que je venais de découvrir, que j’étais moins occupé de sa fatigue que du ravissement que je voulais lui faire partager. En se traînant, peu à peu, elle arriva sur l’avant-dernier plateau. Alors, je me courbai, je tendis mes deux bras à ses petites mains et je la hissai jusqu’à moi. Je l’étreignis sur ma poitrine, et la soutenant la tête renversée, la face au ciel et ses beaux yeux tendus vers le firmament, je lui dis :

— Regarde, quelle tranquillité ! quelle solitude ! quel silence ! quel oubli délicieux de tout ce qui n’est pas nous !

Pas un souffle d’air ne troublait ce calme imposant, pas une rumeur ne se faisait entendre ; la terre en s’endormant paraissait s’immobiliser. La nuit devenait plus noire et les étoiles plus vives ; Antonia était très-pâle et frissonnait dans mes bras.

— Je suis bien lasse, me dit-elle, et il me semble que j’ai froid.

— Je vais te coucher dans notre abri, répondis-je, je te couvrirai de mes habits et en te reposant tu regarderas la double étendue du ciel et de la forêt.

Je la portai doucement, comme une mère fait d’un enfant endormi, dans la cavité tapissée de mousse sombre. Mais, à peine y fut-elle étendue, qu’elle s’écria :

— Oh ! j’ai peur ici, on dirait que tu me mets dans une bière recouverte d’un drap noir !