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du peuple en guenille, transportant des marchandises, faisant des commissions, ou se couchant au soleil. Parmi ces derniers circulaient quelques nègres courbés sous leurs lourds fardeaux. Les femmes qui traversaient la place offraient la même diversité de types et de costumes : ici, une noble Vénitienne en toilette française glissait sous les galeries escortée d’un laquais ; de belles Grecques enveloppées d’un voile entraient dans un magasin de riches tissus. Quelques paysannes du Tyrol, dans leur costume pittoresque, regardaient ébahies la façade de Saint-Marc. Une baladine aux traits flétris, fière de son sarrau pailleté, étendait à terre un tapis troué et commençait en jouant des castagnettes une danse rapide ; une autre pauvre fille, en robe couleur safran, coiffée d’une espèce de turban vert, l’accompagnait du tambour ; celle-ci était jaune comme une orange et nous sollicitait de ses grands yeux veloutés aux longs cils noirs. C’était à coup sûr une épave jetée à Venise par quelque vaisseau marocain ; elle stimulait du geste et de la voix un tout petit Africain à la mine de vaurien qui tendait son fez crasseux aux oisifs des cafés. Tout près une pauvre enfant, à peine nubile, faisait danser des singes ; une autre, souriante comme un chérubin, chantait une barcarolle en s’accompagnant avec grâce sur la viole d’amour.

Je suivais avec intérêt chaque détail de ce fantasque ensemble de la place Saint-Marc. Je serais volontiers resté là une partie de la nuit ; car c’est surtout vers le soir, que ce point de Venise se peuple, s’anime et de-