Page:Colet - Lui, 1880.djvu/203

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 182 —

même sentiment qui fait qu’une mère craint de troubler le sommeil de son enfant, j’entrai sans bruit dans ma chambre, je me déshabillai, revêtis ma robe de moine, et me mis au travail. Tandis que j’écrivais, des larmes montaient de mon cœur à mes yeux, et roulaient par intervalle sur le papier ; je pourrais vous montrer encore les pages où elles ont coulé. Je ne quittai la plume qu’au jour ; je dormis d’un sommeil agité et fiévreux ; vers midi, je fus éveillé par la voix d’Antonia qui se penchait près de mon lit : je me dressai vivement, je l’étreignis avec passion comme pour l’enlever à son indifférence et la ressaisir à jamais.

— Assez de souffrance ! assez d’oubli ! lui dis-je. Oh ! froide et folle que tu es ! tu ne songes donc pas que le seul bonheur c’est l’amour ! — Je la couvris de baisers et la serrai si fort, qu’elle poussa de petits cris en prétendant que je lui faisais mal ; puis elle se mit à rire sèchement sans repousser mes caresses, mais sans me les rendre. Elle me regardait avec ses grands yeux scrutateurs qui n’avaient rien de tendre.

— Qu’as-tu donc à te moquer de moi et à me considérer de la sorte, lui dis-je en me dégageant.

— J’ai que tu n’es qu’un enfant, et que tu ne comprendras jamais l’amour sérieux.

— De grâce, repartis-je irrité, pas de dissertation sur la façon d’aimer ; tout ce que je sais, c’est que je t’aime. Que faut-il faire pour te le prouver ?

— À quoi bon te le dire, tu ne le feras pas !

— Dis toujours.