— Il faut, reprit-elle, ne pas courir les cafés et les théâtres ; il faut accepter une règle et une discipline, — rester ici quand je travaille, — travailler toi-même, et attendre, pour nous permettre l’amour et ses distractions, d’avoir accompli notre double tâche.
— Ce que tu dis là serait possible, répliquai-je, si le ciel nous avait créés toi et moi tout à fait semblables ; mais nous différons de nature et d’aspirations ; ce qui t’enflamme m’éteint, ce qui te fait planer me jette à terre. Le cheval qui galope a-t-il le droit d’en vouloir à l’oiseau qui vole, parce qu’il se meut par un mode différent ? Pourquoi veux-tu me contraindre et m’humilier ? Pourvu que j’agisse, c’est-à-dire que je produise à mes heures et selon mes facultés, que t’importe ? Laissons-nous notre liberté ; d’ailleurs si tu pouvais me mettre à ton pas, je ne serais qu’un écolier ou un esclave, et alors tu me dédaignerais et ne m’aimerais plus !
— J’aimerais un honnête homme qui ne croirait pas amoindrir son génie en faisant vite une œuvre utile qui contribuerait à remplir notre bourse.
— Sois tranquille, j’arriverai à ce résultat ; mais je te l’ai déjà dit, je ne puis chaque jour, à heure fixe, faire un égal morceau de prose et de vers comme un tisserand fait sa toile.
— Non, répliqua-t-elle en ricanant, il faut au poëte gentilhomme, pour l’inspirer, les prodigalités et les distractions futiles.