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Page:Colet - Lui, 1880.djvu/219

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en parlant ainsi, j’alignai cinquante louis sur une des feuilles du manuscrit d’Antonia ; elle secoua la page avec colère et fit jaillir les pièces d’or sur le parquet.

— Il ne vous manque plus que de devenir joueur ; avant peu vous partagerez vos nuits entre les tripots et cette petite saltimbanque africaine.

— Elle a ton regard Antonia, et c’est pourquoi elle me plaît, répondis-je du seuil de la porte qui séparait nos deux chambres. Allons, ma chère, viens me bercer dans tes bras ou trêve de tes sermons qui tombent sans fruit sur un homme endormi.

— Que Dieu vous sauve, moi j’y renonce, répliqua-t-elle sous forme de péroraison.

Jugeant à cette intervention de Dieu (dont les écrivains romantiques abusent par trop, soit dit en passant), qu’elle ne m’accorderait pas le plus petit baiser ; je fermai la porte et me mis au lit.

Mon sommeil fut long et réparateur. Antonia qui à la réflexion redevenait toujours une bonne et cordiale femme, rendit la maison silencieuse afin qu’aucun bruit subit ne m’éveillât.

Je ne me levai qu’à une heure et je fus charmé de voir qu’elle m’avait attendu pour déjeuner dans notre salon qui donnait sur le quai des Esclavons.

Je ne la regardais pas même, craignant d’être troublé par sa beauté toujours nouvelle pour moi, et, afin d’éviter tout orage et de ne plus irriter son humeur, je lui racontai d’un ton libre d’intéressantes particularités sur Venise que m’avaient apprises les hôtes du consul ;