Page:Colet - Lui, 1880.djvu/230

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 209 —

Venise, je n’étais pas le même homme que le matin. J’avais ouvert les stores de la barque pour contempler devant moi la poétique cité qui se détachait sur le fond rouge du soleil couchant : les coupoles de Saint-Marc s’élançaient dans le ciel lumineux. Je débarquai en face du pont des Soupirs, et je restai là jusqu’à la nuit, regardant autour de moi et répétant en anglais la première strophe du quatrième chant de Childe Harold.

« Me voici à Venise près du pont des Soupirs. De chaque côté j’aperçois un palais et une prison. Je crois voir sortir la ville du milieu des vagues comme si la baguette d’un magicien l’eût élevée tout à coup. Des milliers d’années étendent leurs ailes sombres autour de moi, et une gloire mourante étend ses lueurs sur ces temps éloignés où tant de contrées soumises à Venise admiraient ses monuments de marbre, son lion redoutable et où la reine de l’Adriatique dictait ses lois aux îles nombreuses qui formaient son empire.

» Elle semble la Cibèle des mers, couronnée dans le lointain d’un diadème de tours ! etc. »

Doublement absorbé par Venise, que baignaient des flots de lumière et par les vers du grand poète, qui me berçaient harmonieusement, je n’entendis pas marcher près de moi. Tout à coup une robe effleura ; je tournai la tête et j’aperçus la petite danseuse du Maroc. Mes yeux durent exprimer la colère ; car la pauvre fille frissonna et me dit humblement en joignant les mains :