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dre en se couchant des pourpres d’incendie. J’entendais mes deux gondoliers qui, profitant du repos que je leur laissais, avaient entonné une barcarolle : leur voix, agrandie par l’espace, montait en intonations superbes.

Un peu las de ma promenade à travers les sables, je me dirigeai vers un cabaret du Lido, célèbre par son vin de Samos. L’hôte, qui commençait à grisonner, me dit que lord Byron s’était souvent assis à la table où je me plaçai sous une tonnelle :

— J’étais jeune alors, ajouta-t-il, et chaque jour je suivais à la course le cheval de Sa Seigneurie ; puis, quand je voyais bête et cavalier n’en pouvant plus, j’offrais à milord de venir se reposer chez moi. Parfois milord dînait ici. Ne voudriez-vous pas, signor Francese, en faire autant ?

Le moyen de résister à un homme qui se recommandait à moi d’un aussi grand nom ? Ma course au bord de la mer m’avait affamé ; la tranquillité du lieu me tentait. Je me fis servir sous la tonnelle une dorade qu’on venait de pêcher, une polenta et du fameux vin de Samos. Je ne suis pas certain d’avoir bu réellement du vin grec, mais rien que le nom me charmait. J’aime ces noms euphoniques de la langue d’Homère ; ils abondent à Venise : on dirait que les flots et la brise de la mer du Pyrée les ont roulés jusqu’à l’Adriatique.

Ce vin généreux, la solitude de la plage et la fraîcheur du soir me plongèrent dans un bien-être qui m’apaisa. Quand je remontai en gondole pour regagner