chèrent ; mais, comme si une irrésolution l’eût arrêtée, elle me cria sans paraître :
— Albert, viens donc déjeuner.
— Je travaille, répondis-je, espérant qu’elle entrerait.
Elle ne répliqua rien : j’attendis encore quelques instants, et tout à coup elle poussa la porte de communication et m’apparut souriante.
— Comme j’ai dormi longtemps ce matin ! me dit-elle ; désormais c’est moi qui suis la paresseuse et toi le travailleur.
— Je suis la folie et toi la sagesse, répondis-je ; tu vas d’un pas ferme et régulier ; moi je cours, je chancelle et je tombe, et je finirai par m’engloutir.
— Est-ce une tirade de ton drame que tu me récites là ? répliqua-t-elle ; mon pauvre Albert ! quitte la plume et allons déjeuner, car tes fatigues de la nuit ont dû t’épuiser.
Je n’osais la regarder en face ; elle ne me questionnait pas, mais je pensais qu’elle me devinait. Son calme apparent me faisait songer à ces terrains minés qui renferment des abîmes ; je me figurais qu’elle souffrait et me méprisait peut-être, et que sa douceur pouvait bien cacher quelque vengeance.
— Te voilà sombre comme un remords ou comme un cachot des Puits, me dit-elle ; allons, Albert, un peu de gaieté, demain mon manuscrit part pour la France et nous recommencerons à vivre.