Aller au contenu

Page:Colet - Lui, 1880.djvu/300

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 279 —

qui fait souhaiter aux âmes d’élite le sort des âmes inférieures. Hélas ! c’est là ce qui nous rattache au monde par ses petits côtés et amène nos chutes. Nous doutons de nous-mêmes en nous voyant dédaignés et ne pouvant faire planer ceux qui nous entourent, nous coupons nos ailes pour marcher dans leurs ornières.

Vis seul ou soumets-toi bestialement à la compagnie de la plèbe humaine ! Telle est la sentence définitive que tout poëte qui accepte la vie se prononce à lui-même.

Avant de s’étonner qu’une âme élevée s’altère, il faudrait savoir de quels coups elle a été frappée et meurtrie, et ce qu’elle a souffert par sa grandeur même.

— Prends-moi donc, dis-je à la vie qui me revenait, et fais-moi ton esclave, puisque je n’ai pu te soumettre à mes fières aspirations.

Je n’eus donc pas la force de vivre seul face à face avec le spectre de mon amour ; c’est ce qui précipita ma déchéance.

Ceux à qui j’étais cher, même ceux qui me portaient l’affection la plus grave et la plus sainte, me conseillèrent le mouvement du monde et des plaisirs pour raffermir ma santé et mes facultés défaillantes.

Je me replongeai dans toutes ces passions factices qui m’avaient si vite dégoûté avant mon amour pour Antonia ; que me paraîtraient-elles donc désormais après que j’avais passé par une ivresse sincère ? Elles