Aller au contenu

Page:Colet - Lui, 1880.djvu/325

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 304 —

assez d’hypocrisie ! repartis-je avec une colère croissante ; il ne faut pas être une Mme de Warens puritaine, il ne faut pas mettre Jean-Jacques adolescent dans son lit et protester après que c’était pour son plus grand bien et par pure abnégation ! Convenez donc que vous y trouviez aussi quelque plaisir !

Je n’aime pas les exclamations mystiques de Mme de Krudner, quand elle s’écrie dans le ravissement de ses spasmes d’amour : « Mon Dieu, pardonnez-moi d’être heureuse à ce point ! » Dieu et le remords n’ont que faire en ceci. Je trouve plus vrai le cri d’amour des belles Romaines, qui en pareils moments disaient en grec : ζωη και ψυχη.

Convenez donc, ma chère, que si vous n’aviez que du dégoût pour les choses des sens, vous n’étiez pas forcée d’y goûter. Lorsqu’on a donné au monde ce que le monde appelle le scandale de l’amour, il faut au moins avoir la franchise de sa passion. Sur ce point, les femmes du dix-huitième siècle valaient mieux que vous : elles n’alambiquaient pas l’amour dans la métaphysique.

Pendant que je parlais, le visage toujours si calme d’Antonia exprimait une fureur douloureuse qui se trahissait par la rougeur de ses joues et l’éclair de ses regards. Mais tout à coup ses traits se détendirent ; elle pâlit, et sa tête se renversa en arrière et demeura immobile.

Quand j’eus fini, elle me dit d’une voix tranquille :