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Page:Colet - Lui, 1880.djvu/345

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ment ; elle en tenait une autre au bout de ses doigts ; comme je fumais aussi elle me dit en riant :

— Albert donne-moi du feu.

Je m’inclinai sans répondre et lui tendis mon cigare ; puis je sortis du foyer.

Mon cœur seul avait tressailli, d’étonnement peut-être ; mes sens étaient restés froids, répulsifs mêmes ; ce n’était pas Antonia que j’avais revue, pas même son ombre, c’était sa caricature ! Si son désir ranimé l’avait poussée vers moi, mes bras ne se seraient pas ouverts ; si elle m’avait crié : « Je t’aime toujours ! » je lui aurais répondu avec certitude : « Je suis guéri ! »

Oh ! qu’il n’en aurait pas été ainsi si nous avions traversé la vie en nous aimant, vieilli ensemble, partagé nos labeurs, nos joies et nos peines ; alors la vieillesse et la décrépitude se produisent insensiblement ; les beaux souvenirs de l’heureuse jeunesse les dérobent et l’éclat des sentiments inaltérés les effacent ! Mais quand on est devenu ennemis par l’amour, quand la séparation violente a produit l’antagonisme, l’œil de la matière est implacable, il procède froidement dans sa dissection comme le scalpel sur le cadavre.

Vous voyez donc bien que je ne l’aime plus ; le charme et l’attrait sont détruits ; j’en parle comme d’une chose morte ; si je me suis complu dans les détails de ce récit, si j’ai tenté de vous faire pénétrer les mystères infinis d’une psychologie désespérée, c’est pour vous et non pour elle ; pour vous dont je veux être aimé, pour vous à qui je viens de révéler comme