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preuves, deux attestations qu’il se donne à lui-même de la tendresse et de la générosité de son cœur, poursuivit Albert ; un jour, vous passiez ensemble près de la statue de Corneille, il vous parle en pédant de ce simple grand homme, et vous, dans l’effusion touchante de votre amour, vous répondez : « J’aime mieux être aimée par toi, que d’avoir la gloire de Corneille ! » Ohl si Antonia m’avait dit un mot semblable à propos de Michel-Ange ou de Dante quand nous étions en Italie, je l’aurais remerciée et bénie en la serrant plus passionnément dans mes bras ; mais lui, qu’en éprouve-t-il ? Il vous rappelle, en vous écrivant, votre ineffable exclamation : il la censure, il la souligne ; cette parole d’amour, ose-t-il dire, vous a involontairement diminuée à ses yeux, car il ne comprendra jamais qu’on place le sentiment au-dessus de la gloire. Oh ! marquise, les êtres vraiment inspirés et qui ont écrit des choses sublimes n’ont pas dit à froid de ces sublimités-là ! Cette avidité âpre et glacée de la gloire ne saurait envahir un cœur heureux par l’amour ! En lisant les maximes qu’il vous débite sur l’art et la renommée, on dirait des aphorismes pompeusement prononcés par quelque bourgeois lettré !

— Bourgeois, lui bourgeois ! interrompis-je avec cette naïveté que l’amour vrai garde toujours, même quand l’âge de la naïveté est passé ; on voit bien que vous ne le connaissez pas ? Personne plus que lui ne se moque du troupeau des Philistins, comme disait votre ami Henri Heine pour désigner les bourgeois.