— Je veux, répliqua-t-il, revoir ce soir même, avec vous, pour la dernière fois, cette allée du bois où vous m’avez aimé une minute ! Je veux, qu’en rentrant cette nuit, vous lisiez mes vers et que vous y répondiez dans cette même langue immortelle que je vous ai enseignée ; je veux enfin que vous m’apportiez, par un jour sombre, ces vers que vous aurez faits pour moi. Vous vous asseoirez sur mon fauteuil, si je n’y suis pas, et en rentrant je retrouverai votre ombre ; car vous ne savez pas, ajouta-t-il d’un ton convaincu, j’ai des visions !
Ses yeux hagards et sa pâleur livide, tandis qu’il parlait ainsi, auraient pu faire croire aux fantômes ! il avait quelque chose de fantastique et d’indéfinissable.
— Eh bien, partons-nous ? reprit-il d’un ton presque gai et en prenant son chapeau.
J’avais promis, et je n’osais revenir sur ma parole, mais j’éprouvai une terreur involontaire à l’idée de me retrouver seule avec lui en voiture.
Je me déterminai sans réfléchir plus longtemps. C’était par une soirée orageuse qui précipitait la nuit ; le ciel n’avait pas une étoile et le vent, qui hurlait comme un vent d’automne, tordait les hautes branches des arbres et en faisait tourbillonner les feuilles.
Aussitôt que nous fûmes en voiture, il me dit d’une voix calme, très-nette, et sans changement d’inflexions :
— Je revois toujours ceux que j’ai aimés, soit que la mort, soit que l’absence m’en sépare ; ils reviennent obstinément dans ma solitude où je ne suis jamais seul. En disant ces mots il ne me regardait pas ; il sem-