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franchit une antichambre et un salon, souleva une portière en étoffe sombre et s’évanouit aussitôt. Je me trouvai seul dans une chambre à peine éclairée ; j’entendais une voix qui sanglotait près d’un lit tout blanc dans l’ombre de l’alcôve. Elle était là, la jeune fille, étendue et roidie, les mains jointes, morte et gardant encore son sourire qui lui survivait ; sa vieille tante, agenouillée, pleurait la tête cachée sur le lit mortuaire ; elle m’entendit, et se soulevant sans surprise :

— Oh ! c’est vous, fit-elle, je vous attendais ; elle vient d’expirer en disant :

— Le voici ! le voici qui arrive !

Albert se tut quelques moments, puis il reprit :

— Ne vous lassez pas, chère Stéphanie, j’ai encore d’autres visions à vous raconter. Un soir, j’étais au bal à l’ambassade d’Autriche ; une princesse russe valsait devant moi : ses cheveux crêpés à reflets d’or, son torse de bacchante et sa gorge mouvante, qui s’agitait dans une robe très-ouverte, me rappelèrent tout à coup une pauvre fille des rues qui m’avait tenté un soir. Je suivis un moment la dame du regard dans le tourbillon de la valse, mais bientôt je n’y pensai plus et je passai dans un autre salon. J’étais là à considérer un énorme massif de fleurs d’où jaillissait en gerbes un jet d’eau, quand je sentis sur ma main des gouttes perlées tomber en cadence ; je me reculai, mais les gouttes m’atteignirent encore, régulières et obstinées, et frappant une sorte de mesure qui semblait battue sur ma main par une main invisible. Je regardai mes gants qui se mouil-