saient de larmes, elle me dit avec son éternel sourire :
— Ne me plaignez pas ; je vous assure que je mourrai en chantant ; et faisant courir ses doigts fluets sur une harpe qui était là ; elle entonna le Requiem de Mozart.
J’écoutais sans oser la regarder, craignant de la voir m’apparaître morte. Je sortis éperdu avant qu’elle n’eût fini de chanter, convaincu qu’elle allait s’envoler dans la dernière vibration de l’hymne funèbre.
Deux ans s’écoulèrent ; je l’avais oubliée dans les dissipations d’une vie sans frein ; un soir, j’étais au Vaudeville, je riais des bouffonneries d’Odry, quand tout à coup je sentis sur ma main droite dégantée (la même main qui un jour sur la plage avait touché la sienne) un souffle glacé et rapide courir par trois fois ; c’était comme un avertissement pour me rendre attentif ; aussitôt une voix me dit bien bas à l’oreille : — Pourquoi donc m’oubliez-vous ? — La frêle figure souriante de la jeune fille qui chantait toujours se dressa devant moi ; elle marchait en tournant la tête, elle ployait à demi son cou et, d’un petit geste, elle m’appelait sur ses pas. Je sortis du théâtre en la suivant et j’allai de rue en rue sur ses traces ; nous arrivâmes dans la rue de Rivoli ; nous glissions le long de la grille du jardin ; le vent d’automne soufflait et poussait les feuilles des arbres sous nos pas ; nous entrâmes sous une large porte aux battants grands ouverts ; il en sortait, en ce moment un équipage dans lequel était assis un célèbre médecin que je reconnus ; je suivais toujours l’ombre impalpable ; elle monta au premier étage,