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Page:Colet - Lui, 1880.djvu/42

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reux. C’était comme ces gais refrains qui charment le travailleur.

Après ce court billet, j’adressai, ainsi que je le faisais chaque soir, ma confession du jour à celui que j’aimais. Chateaubriand a dit : « Si je croyais le bonheur quelque part, je le chercherais dans l’habitude ! » Je trouvai à lui écrire ainsi toutes mes pensées un bonheur profond et une sorte de moralisation inexpugnable. Je n’aurais rien voulu commettre d’indigne, dans la journée ; car le soir, plutôt que de lui mentir et de lui confier ma défaillance, la plume me serait tombée des mains. Ce fut là le temps le plus pur et le plus fier de ma vie, celui où mon esprit embrassa le plus les rayonnements du beau et du bien.

Aussitôt que ma lettre était close, j’allais soulever les rideaux blancs du petit lit où dormait mon fils ; je posais sur son front riant un long baiser et j’essayais de dormir à mon tour. Ce soir-là, je restai longtemps éveillée, pensant involontairement à tout ce que mes amis m’avaient dit d’Albert de Lincel. Je savais gré à René Delmart de l’avoir défendu ; j’avais pour René autant d’estime que d’amitié, et je me disais que sa parole, qui était toujours vraie, n’avait pu mentir au sujet d’Albert.

René est un des plus nobles et des plus rares esprits de notre temps, et si sa gloire littéraire n’est pas montée à l’égal de son talent, cela vient de la beauté même de son caractère, qui puise son originalité dans une honnêteté absolue et dans une insouciance de demi-