Page:Colet - Lui, 1880.djvu/87

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 66 —

table amour, me disais-je : fort, radieux, certain de lui-même, et persistant sans altération, à distance de l’être aimé !

C’est ainsi que dans l’excès de mon amour, je blasphémai l’amour même : l’amour exigeant, fantasque, anxieux, emporté, tel qu’Albert l’avait ressenti dans sa jeunesse, et dont l’écho se réveillait en lui. Est-ce que l’amour véritable peut être tranquille, résigné, exempt de désir ? Impétueux seulement dans certains jours de l’année et relégué le reste du temps dans une case du cerveau ? Ô pauvre Albert, dans ta folie apparente c’est toi qui aimais, toi qui étais l’inspiré de la vie ! L’autre, là-bas, loin de moi, dans son orgueil laborieux et l’analyse éternelle de lui-même, il n’aimait point ; l’amour n’était pour lui qu’une dissertation, qu’une lettre morte !


vii


J’avais passé une partie de la nuit à écrire à Léonce le récit de cette étrange journée. — Il me répondit bien vite que je m’effrayais trop de l’exaltation et de l’inquiétude d’une âme malade ; guérir ce grand esprit tourmenté, si cela était encore possible, serait une tâche assez belle pour m’y consacrer. Malgré l’amour immense qu’il avait pour moi, il ne se reconnaissait